Dr. Abdellatif Khattabi *
* Ecole Nationale Forestière d'Ingénieurs
BP. 511 Tabrikt Salé
INTRODUCTION ET METHODOLOGIE
L'élaboration de tout plan d'aménagement qui se veut
être à la fois conforme aux exigences scientifiques et aux impératifs économiques
et sociaux, nécessite une analyse des interactions qui existent entre la
population et le milieu à aménager. C'est dans cette optique que s'insère la
présente étude socio-économique, qui a pour but principal l'implication de la
population riveraine de Merja Zerga dans le processus depréservation des
ressources naturelles.
Ces ressources donnent lieu à d'importantes activités
humaines, qui sont susceptibles d'avoir des impacts négatifs sur la pérennité
du milieu naturel. Les objectifs spécifiques de cette étude sont
l'identification des différentes utilisations des ressources naturelles, la
compréhension de la logique d'exploitation de ces ressources et ses contraintes,
la détermination de la valeur économique totale du site, et enfin la
formulation de recommandations pour un développement durable de la zone. Pour déterminer
les caractéristiques socio-économiques des usagers de Merja Zerga, les valeurs
économiques du site et les différentes utilisations de ses ressources, les
potentialités de la zone, les besoins de la population locale et le diagnostic
de ses problèmes et contraintes, nous avons procédé à
une collecte de données
durant les mois de Juillet et Août 1997. Deux techniques principales ont été
adoptées: le questionnaire, et la Méthode Accélérée de la Recherche
Participative (M.A.R.P.).
Trois questionnaires ont été utilisés dans l'enquête. Le premier portait
sur les activités de production, le second sur le secteur de la pêche, et le
troisième sur la Méthode d'évaluation contingente. Au total, 170 ménages répartis
sur 16 douars, 15 pêcheurs appartenant à deux douars, et 250 visiteurs de
Merja Zerga ont été enquêtés. Les instruments participatifs ont été
appliqués dans trois villages, et aussi pour collecter l'information chez les
services techniques locaux.
UTILISATION DES RESSOURCES ET VALEUR ECONOMIQUE
Dans tous les douars du pourtour de Merja Zerga, le droit à l'exploitation
des terrains collectifs est réservé seulement à une catégorie d'habitants
qui se disent être les vrais originaires du lieu ("Balladi"). Les
autres habitants appelés "Berrani", c'est-à-dire Etrangers, sont
privés de ce droit de jouissance.
L'agriculture est pratiquée par à peu prés 90% des ménages. Plus de 92%
des exploitations ont des superficies inférieures à 5 ha, et 50% des
agriculteurs possèdent 20% seulement de la surface agricole utile totale. La
superficie moyenne par ménage est de 3,24 ha, et le nombre moyen de parcelles
par agriculteur est de 1,89. Ces terrains sont à 91% des terrains collectifs et
privés et le reste est domanial.
Le labour mécanique, la fertilisation et l'achat des semences sélectionnées
sont rencontrés chez la majorité des agriculteurs. Plus de 70% des
exploitations utilisent des engrais artificiels, et plus de 50% des agriculteurs
pratiquent la fertilisation naturelle (fumier). L'effectif du cheptel bovin et
ovin est de 23,6 unités petit bétail en moyenne par ménage. Toutefois, plus
de deux tiers des propriétaires ne possèdent que des cheptels de tailles inférieures
à la moyenne observée. La majorité des bovins est de race locale, et paturent
durant toute l'année dans les marécages, tout comme les équidés. Par contre,
les ovins ne paturent dans Merja que 10 mois sur 12, seulement.
La pêche dans la lagune ou en mer, pratiquée comme activité principale ou
secondaire, touche à peu prés 15% des ménages. La pêche dans Merja est libre
et elle n'est soumise à aucun contrôle effectif, alors que la pêche en mer
est subordonnée à une licence délivrée par les services de la Marine
Marchande. Le nombre total de barques exerçant soit ces deux types de pêche
soit le transport dans la lagune est estimé à 142 unités.
Le ramassage des palourdes est généralement pratiqué par les jeunes filles
durant toute l'année, à l'exception des mois d'hiver. Tandis que celui des
vers de terre et des coquilles de gastéropodes morts se fait par les petits garçons,
surtout en été. Les recettes obtenues à partir de ces activités, sont utilisées
soit comme argent de poche, soit pour aider la famille à subvenir aux besoins
quotidiens.
Le jonc exploité dans Merja est utilisé pour confectionner les nattes
traditionnelles ("Hassira"). Cette pratique est ancienne dans la région,
et subsiste toujours dans presque la totalité des douars situés aux alentours
de Merja. C'est une activité exercée principalement par les femmes, et durant
toute l'année. Elle constitue une source de revenu permanent pour les ménages,
surtout les plus démunis. Toutefois, elle devient de plus en plus concurrencée
sur le marché par la natte en plastique.
Les ressources végétales utilisées comme combustibles par la majorité des
gens, sont les feuilles d'eucalyptus et le bois. Elles sont ramassées dans les
plantations forestières qui se trouvent à proximité de la lagune, et leur
collecte et transport sont souvent effectués par les femmes. La distance
parcourue pour la recherche du bois de feu dépasse souvent 8 km aller- retour,
et le temps consacré au ramassage et au transport est de 4 à 6 heures par
jour, deux à trois fois par semaine.
Le revenu net moyen annuel d'un ménage vivant dans les alentours de Merja
est estimé à 26 670 dh. Il est composé des recettes réalisées de la
production végétale, de la production animale, de la pêche, de travail
agricole, de la vente des nattes, de la vente des palourdes, et d'autres travaux
tels que le commerce et le travail salarial hors agriculture.
Le revenu net annuel lié aux produits tangibles de M.Z. constitue 29% du
revenu global, soit 7 822 dh/an/ménage. La valeur des produits intangibles a été
estimée en utilisant la Méthode d'évaluation contingente. Le consentement à
payer moyen pour la préservation des services récréatifs et écologiques de
la zone humide, calculé sur l'échantillon de visiteurs du village Moulay
Bousselham s'élève à 187 dh par ménage. Une analyse économétrique montre
que ce consentement à payer augmente avec le revenu, le fait d'être marié, le
degré d'appréciation de la beauté du site, si on considère que la dégradation
des zones humides est plus importante que les autres problèmes environnementaux,
si on considère que tous les citoyens sont concernés par la dégradation des
écosystèmes, le niveau d'intérêt porté aux problèmes environnementaux, le
degré de connaissance des rôles économiques et écologiques des zones humides,
et diminue avec l'augmentation du nombre d'enfants par ménage.
L'analyse des données socio-professionnelles de l'échantillon de visiteurs,
montre que les enquêtés sont à 81% des mariés, à 16% des célibataires, et
à 3% des divorcés. Le niveau d'éducation le plus dominant est le secondaire,
et les catégories professionnelles les plus représentées sont par ordre
d'importance les fonctionnaires, les employés et les enseignants.
Les régions de leurs provenances sont surtout les provinces de Kénitra, de
Méknes, et de Fès. La durée moyenne de séjour est de 16,5 jours avec un
minimum de 1 jour et un maximum de 150 jours.
La valeur économique totale est égale à la somme de toutes les valeurs, à
savoir les valeurs d'usage, d'option et d'existence. La valeur d'usage direct
est estimée à 20 millions de dirhams par an, et les autres valeurs restantes
sont évaluées sur la base de la population totale des principales provinces
originaires des visiteurs à 150 millions de dirhams. En additionnant les deux
grandeurs, on obtient une valeur économique totale actualisée supérieure à
500 millions de dirhams en utilisant un taux d'actualisation de 6%.
PROBLEMES ET CONTRAINTES
Lors du diagnostic participatif, nous avons essayé de déceler les différents
problèmes et contraintes liés à l'exploitation des ressources naturelles, les
soucis et les aspirations de la population usagère de ces ressources. Une
identification des problèmes ainsi que leur hiérarchisation a été faite
aussi bien chez les hommes que chez les femmes.
Le problème commun qui se pose au niveau de tous les douars est le droit de
jouissance pour les terres collectives. Le chômage chez les jeunes garçons, l'électrification,
le manque de dispensaires à proximité des douars, l'instabilité des maîtres
d'écoles, l'insuffisance des infrastructures routières, le manque
d'investissements et d'encadrement technique dans l'agriculture, etc. ont été
aussi signalés par la population locale.
Les problèmes des femmes se recoupent avec ceux des hommes en ce qui
concerne l'électrification, l'hôpital, les routes, la scolarisation, et le chômage,
mais elles placent en priorité le manque de combustibles, l'absence de bains
maures "Hammam", l'inexistence de clubs de formation professionnelle
pour les jeunes filles, et le besoin en fours collectifs pour la cuisson du
pain.
En dehors de quelques coopératives de reforme agraire, et qui d'ailleurs ne
sont plus opérationnelles, et ce depuis la fin des années 80, aucune autre
forme d'organisation formelle des utilisateurs des ressources naturelles n'a été
observée dans la zone.
Quant à l'exploitation des ressources, la seule surexploitation qui a été
réellement constatée est liée à la pêche et au ramassage des palourdes dans
la lagune. Le pâturage dans Merja est probablement aussi intense, et pourrait
être à la base de la destruction d'habitats naturels. L'utilisation des sols
agricoles et de la nappe phréatique semblent ne connaître aucun problème, et
les peuplements de jonc ne souffrent d'aucune dégradation.
La pratique de la pêche dans Merja Zerga est caractérisée par "L'accès
libre" à l'exploitation. Cet état de fait, combiné à l'accroissement démographique
que connaît la zone, entraînent une augmentation du nombre de personnes qui pêchent
dans la lagune. Comme conséquence de cette intensification de l'effort de pêche,
et de l'utilisation des outils et des pratiques non- conformes à la réglementation
en vigueur, on assiste aujourd'hui à une surexploitation "biologique"
du stock de poissons dans Merja.
RECOMMANDATIONS
La préservation des ressources naturelles de Merja Zerga, est intimement liée
à la réduction de la dépendance de la population locale de l'exploitation de
ces ressources. Cette réduction ne peut se faire qu'avec la création de
l'emploi dans la région, pour diversifier l'activité et résorber une partie
du chômage chez les jeunes. Pour ce faire, il faudrait encourager la création
de micro-entreprises adaptées au milieu rural, en accordant des facilités
financières, surtout des petits dons ou des micro-crédits.
La protection de la productivité du stock de poissons peut être réalisée,
en théorie, en appliquant l'une des techniques qui réduisent la mortalité, à
savoir les périodes de repos, la mise en défends d'une partie de la lagune,
les restrictions sur les engins de pêche, la limitation des facteurs de
production, l'instauration de quotas d'output, les taxes spécifiques pour
internaliser les effets externes, etc. Toutefois, les négociations avec les pêcheurs
pour appliquer l'une ou l'autre mesure ne pourraient être effectives que si le
métier de la pêche est organisé et réglementé.
L'agriculture qui constitue l'ossature du revenu des ménages nécessite un
renforcement de l'encadrement technique. Aussi, l'organisation des métiers des
fabricants de nattes artisanales et des producteurs de lait, renforcerait la
position de ces producteurs sur le marché afin de pouvoir défendre les intérêts
de leurs métiers respectifs.
L'introduction des énergies renouvelables surtout le solaire et le biogaz,
et l'encouragement de leur utilisation par le biais d'une assistance financière
et technique, permettrait de soulager l'exploitation des ressources végétales,
et de réduire le gaspillage de l'engrais naturel. Le développement des
infrastructures de base: électricité, eau potable, centres de santé, écoles,
sont parmi les doléances de la population.
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